En théorie, la démocratie se fonde
sur un pouvoir politique, un contre-pouvoir médiatique et l'opinion
publique. Ce livre, L' « évidence » du
discours néolibéral – Analyse dans la presse écrite de Thierry
Guilbert, (éditions du croquant, collection savoir/agir) analyse linguistique les éditoriaux de journaux
nationaux écrits lors de moments de crises (lors du CPE, lors de
réformes des retraites...), tend à montrer que ce
« contre-pouvoir » sert en réalité le même discours
néolibéral, s'aligne sur les discours politiques propres à
l'économie de marché, déforme et forme l'opinion publique par des
stratégies langagières.
L'éditorialiste n'use pas de propagande
(c'est le propre d'un régime tyrannique!) : la manipulation du
langage se fait en dissimulant ses buts, le discours semble cohérent,
d'une telle évidence et il ne reste plus au lecteur qu'à
acquiescer. Le discours néolibéral est considéré nécessairement
comme le bon sens. En somme, tout ce qui viendrait s'y opposer ne
serait que foutaise.
Pour contrer cette pseudo-évidence du
discours, d'où les guillemets bien sûr dans le titre (guillemets qui n'apparaissent pas sur la couverture telle qu'elle apparaît ici et que je reproduis, mais qui sont bien réels sur le livre que j'ai devant moi), l'auteur
examine les stratégies langagières.
Utilisation d'un « sacré
montré », de la rationalité, de la nominalisation à défaut
d'une phrase sujet-verbe-complément plus facilement réfutable car
on pourrait alors y placer une négation, la façon de nommer les
acteurs du conflit, l'utilisation des sondages d'opinion (et leur
rédaction orientée), l'utilisation d'une opinion virtuelle, la
constitution d'opinions partagées (« tout le monde »
sait que, « chacun » pense que...) fabriquées de toute
pièce mais qu'on ne peut contredire car elles font appel au bon
sens, utilisent des clichés, des proverbes..., le cadre qui présente
les événements qui sont les faits d'une réalisation humaine comme
si ceux-ci venaient de la nature, comme si rien ne pouvait les
modifier (métaphores météorologiques, utilisation du passif..), la
comparaison à d'autres (notamment les autres pays d'Europe, jouant
sur l'affect car la France serait alors la dernière, une « exception
française » qui menace l'équilibre, qui est le fait de la
mauvaise humeur essentialiste, propres au caractère du Français qui
râle sans raison, si ce n'est parce que le fait de vouloir râler
serait dans ses gênes) , la réduction du conflit à un combat
de chefs avec personnes nommées, la persuasion au lieu de
l'argumentation grâce à l'utilisation de figures stylistiques,
d'amalgame sous couvert d'énumération ou de création d'un
faux-choix, question rhétorique...
Extraits de la conclusion de l'ouvrage :
Le véritable en jeu de cette forme de présentation médiatique du discours néolibéral est donc de parvenir à imposer dans les esprits l'impossibilité de contester les « réformes », l'impossibilité de penser une alternative à la doctrine néolibérale, c'est-à-dire imposer son incontestabilité ou, plus simplement, son « évidence ». (p. 131)
Nos « dirigeants » ont fini par croire en l'évidence du discours libéral : pour eux, ce discours ne représente pas la réalité, il est la réalité. (p. 133)
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