jeudi 13 septembre 2012

LECTURE : L' « évidence » du discours néolibéral de Thierry Guilbert


En théorie, la démocratie se fonde sur un pouvoir politique, un contre-pouvoir médiatique et l'opinion publique. Ce livre, L' « évidence » du discours néolibéral – Analyse dans la presse écrite de Thierry Guilbert, (éditions du croquant, collection savoir/agir) analyse linguistique les éditoriaux de journaux nationaux écrits lors de moments de crises (lors du CPE, lors de réformes des retraites...), tend à montrer que ce « contre-pouvoir » sert en réalité le même discours néolibéral, s'aligne sur les discours politiques propres à l'économie de marché, déforme et forme l'opinion publique par des stratégies langagières. 



L'éditorialiste n'use pas de propagande (c'est le propre d'un régime tyrannique!) : la manipulation du langage se fait en dissimulant ses buts, le discours semble cohérent, d'une telle évidence et il ne reste plus au lecteur qu'à acquiescer. Le discours néolibéral est considéré nécessairement comme le bon sens. En somme, tout ce qui viendrait s'y opposer ne serait que foutaise.
Pour contrer cette pseudo-évidence du discours, d'où les guillemets bien sûr dans le titre (guillemets qui n'apparaissent pas sur la couverture telle qu'elle apparaît ici et que je reproduis, mais qui sont bien réels sur le livre que j'ai devant moi), l'auteur examine les stratégies langagières.

Utilisation d'un « sacré montré », de la rationalité, de la nominalisation à défaut d'une phrase sujet-verbe-complément plus facilement réfutable car on pourrait alors y placer une négation, la façon de nommer les acteurs du conflit, l'utilisation des sondages d'opinion (et leur rédaction orientée), l'utilisation d'une opinion virtuelle, la constitution d'opinions partagées (« tout le monde » sait que, « chacun » pense que...) fabriquées de toute pièce mais qu'on ne peut contredire car elles font appel au bon sens, utilisent des clichés, des proverbes..., le cadre qui présente les événements qui sont les faits d'une réalisation humaine comme si ceux-ci venaient de la nature, comme si rien ne pouvait les modifier (métaphores météorologiques, utilisation du passif..), la comparaison à d'autres (notamment les autres pays d'Europe, jouant sur l'affect car la France serait alors la dernière, une « exception française » qui menace l'équilibre, qui est le fait de la mauvaise humeur essentialiste, propres au caractère du Français qui râle sans raison, si ce n'est parce que le fait de vouloir râler serait dans ses gênes) , la réduction du conflit à un combat de chefs avec personnes nommées, la persuasion au lieu de l'argumentation grâce à l'utilisation de figures stylistiques, d'amalgame sous couvert d'énumération ou de création d'un faux-choix, question rhétorique...

Extraits de la conclusion de l'ouvrage :
Le véritable en jeu de cette forme de présentation médiatique du discours néolibéral est donc de parvenir à imposer dans les esprits l'impossibilité de contester les « réformes », l'impossibilité de penser une alternative à la doctrine néolibérale, c'est-à-dire imposer son incontestabilité ou, plus simplement, son « évidence ». (p. 131)
Nos « dirigeants » ont fini par croire en l'évidence du discours libéral : pour eux, ce discours ne représente pas la réalité, il est la réalité.  (p. 133)

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