mardi 8 mai 2012

LECTURE : L'Ordre moins le pouvoir de Normand Baillargeon


Les éditions Agone orientent leurs publications vers la sociologie, la littérature, la philosophie, l'histoire et la critique sociale. Ou peut-être faudrait-il mettre en premier lieu la critique sociale, par le biais de la sociologie, la littérature, etc. En l'occurrence, avec L'Ordre moins le pouvoir - Histoire & actualité de l'anarchisme de Normand Baillargeon, il s'agit d'histoire politique.


L'Ordre moins le pouvoir - Histoire & actualité de l'anarchisme est une introduction à l'anarchisme, sa définition en introduction, ses principaux courants, ses principaux théoriciens, son histoire, différents thèmes mis en exergue (économie, écologie, féminisme, éducation, médias...). En un peu plus de deux cents pages, l'auteur, Normand Baillargeon, défini en quatrième de couverture comme « militant anarchiste », retrace les grandes lignes des mouvements anarchistes (le pluriel est important car les formes de l'anarchisme sont nombreuses : anarchismes individualistes, mutualistes, fédéralistes, communistes, et même, le (sic) mentionné après le terme est là pour nous faire remarquer l'usage usurpé du terme anarchisme dans ce cas, l'anarcho-capitalisme, qui n'est que libéralisme exacerbé sans humanité).

L'anarchisme se définit étymologiquement comme [an-] (privatif), [archos] (pouvoir, commandement ou autorité) ; il est donc littéralement, l'absence de pouvoir ou d'autorité. Ce qui ne signifie ni confusion ni désordre, si l'on admet simplement qu'il y a d'autres ordres possibles que celui qu'impose une autorité : voilà, exprimé le plus simplement possible, ce qu'affirme d'abord l'anarchisme. […] L'anarchisme est une théorie politique au cœur vibrant de laquelle loge l'idée d'anti-autoritarisme, c'est à dire le refus conscient et raisonné de toute forme illégitime d'autorité et de pouvoir. (pp. 22-23)
Tirant les conséquences aussi bien théoriques que pratiques de cet anti-autoritarisme, l'anarchisme est encore un amour passionné de la liberté et de l'égalité qui débouche sur la profonde conviction – je devrais plutôt dire sur l'espoir – que les relations librement consenties sont plus conformes à notre nature, qu'elles sont en définitive, seules aptes à assurer une organisation harmonieuse de la société et qu'elles constituent donc, en dernière analyse, le moyen le plus adéquat permettant de satisfaire ce que Kropotkine appelait « l'infinie variété des besoins et des aspirations d'un être civilisé ». (p. 24)

L'anarchisme est, à l'instar du titre qui met l'accent sur cet « ordre » nouveau, présenté comme volonté d'aller vers un autre mode de société et non comme destruction de la société actuelle, avec des modes de destruction violents que l'auteur considère comme une dérive. Le nihilisme ne construit rien, l'anarchisme propose des projets de société. On croit malheureusement que l'autorité fonde tout et il est difficile de concevoir un mode d'organisation sociale différent. Pourtant, des exemples prouvent que c'est possible : en Espagne notamment, avant la guerre civile, avec la CNT, l'anarcho-syndicalisme et ses unions locales, projets de communes libertaires défnis en 1936 au congrès de Saragosse, avec démocratie directe. L'histoire de l'anarchisme épouse l'histoire moderne et contemporaine (massacre de Haymarket, en 1886 à Chicago, la révolution russe de 1917,...)

Cette histoire de l'anarchisme se termine sur une perspective mitigée : certes, les mouvements anarchistes trouvent de nouveaux élans, mais se replient parfois dans des pratiques isolées, tournées vers elles-mêmes comme le « life-styl activism » (page 194 et suivantes) et sont souvent confrontés au problème de l'articulation d'un projet de vie qui éclairerait les pratiques à venir, mais aussi donneraient l'espoir de la possibilité d'une telle réalisation.

Il revient aux anarchistes de proposer de telles visions – valables pour la culture, le politique, la société – et de les diffuser dans une perspective non dogmatique et dans un esprit de tolérance, d'espoir et d'invitation à la discussion. Les anarchistes le faisaient à une époque où l'on peut légitimement soutenir que ceux auxquels ils s'adressaient n'avaient rien d'autre à perdre que leurs chaînes. Ce n'est plus le cas et ce type de travail, mené dans le même esprit mais cherchant des réponses aux questions et aux problèmes qui se posent aujourd'hui, n'en est plus que nécessaire. […] Elles aideront d'abord à répondre aux objections qu'inévitablement on soulève à l'endroit des positions anarchistes. Elles aideront encore à préciser et à articuler de manière plus cohérente les valeurs défendues par l'anarchisme. Elles permettront enfin, et c'est sans aucun doute là le plus important, de proposer à l'action militante des objectifs désirables, proches ou lointains, mais dont on aura des raisons de penser qu'il est possible de les atteindre. (pages 198-199)

L'auteur s'implique dans cet ouvrage, nuançant l'intérêt de tel ou tel texte, distillant par moments son avis. Il rend le texte vivant, on perçoit ses convictions. En fin d'ouvrage, la bibliographie propose des pistes de lecture nombreuses, un choix personnel de l'auteur encore, auquel ce dernier ajoute des astérisques, « suggestion de bibliothèque de base consacrée à l'anarchisme ». Cette bibliographie est complétée par une filmographie, une liste de revues et une sitographie. L'ouvrage est, comme je l'ai écrit plus haut, une introduction, et nous ouvre les portes d'autres lectures, d'autres connaissances plus pointues. Il a un rôle premier, on ne peut que le conseiller pour une découverte de ce qu'est l'anarchisme, dans son aspect profondément humain.

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