samedi 29 septembre 2012

LECTURE : La démocratie, Histoire d'une idéologie de Luciano Canfora


Aux éditions du Seuil, dans la collection « faire l'Europe » dirigée par Jacques Le Goff, sont publiés des essais, que plusieurs maisons d'édition européennes publient simultanément. Ladémocratie, histoire d'une idéologie a été écrite par un auteur italien, Luciano Canfora, également auteur, toujours sur le thème de la démocratie, de L'Imposture démocratique (aux éditions Flammarion).



La démocratie, histoire d'une idéologie, est un volume imposant : plus de 450 pages, largement annoté, complété par un bibliographie et un index des noms. Il s'agit d'un panorama historique, de la Grèce ancienne à l'époque contemporaine (jusqu'au XXe siècle de l'après-guerre globalement, mais plusieurs références sont données à des faits produits ou des acteurs du XXIe siècle), couvrant de nombreux pays européens mais faisant aussi des incursions dans la situation américaine. Il s'agit surtout d'une lecture critique de l'histoire d'un concept, de son évolution, des sens que le terme a pu prendre selon les périodes, selon son utilisation en exposant les conditions de son existence ou de sa non-existence, car rien n'est plus fourbe que ce terme...
Mais l'un des principaux instruments du « monde libre » triomphant est précisément sa capacité à créer, dévoiler ou dissiper la réalité à travers la machine parfaitement huilée de l'information. Ce n'est, certes, qu'une « technique » mais c'est peut-être précisément à cause des techniques que des mots « absolus » et, à la rigueur vides de sens tels que « liberté » et « démocratie » ont adopté la forme et revêtu les significations qu'ils ont aujourd'hui à nos yeux. (p. 424)
Pour aller plus loin : 
À propos de la « démocratie », une conférence regardée récemment d'Étienne Chouard, professeur d'Économie intitulée "Enjeux pour le peuple du contrôle public de l'État et de la banque". Le mot démocratie n'apparaît pas dans l'intitulé de la conférence, mais il est essentiellement question de démocratie... Et une référence d'ouvrage donnée à la fin : Principes du gouvernement représentatif de Bernard Manin (en cours de réédition, disponible à partir du mois d'octobre). Une de mes prochaines lectures sans aucun doute.

lundi 24 septembre 2012

LECTURE : Ni Dieu ni Maître – Anthologie de l'anarchisme de Danier Guérin


Nouvelle édition en un seul volume de cette somme proposée par les éditions La Découverte


Plus de 700 pages dans un petit format, un livre compact, et une très bonne introduction il me semble : le but étant de m'informer sur l'anarchisme, j'y ai trouvé mon compte. Cela fait quelques mois à présent que le livre me suit, que je le lis méthodiquement du début à la fin, entrecoupant cette lecture par d'autres lectures ou complémentaires (d'où La morale anarchiste de Kropotkine par exemple) ou totalement différentes. J'ai donc avancé doucement à travers cette masse de pages.
Ni Dieu ni Maître est un panorama historique (du XIXe siècle à la guerre d'Espagne) à travers quelques grands événements mais surtout des personnalités sur lesquelles Daniel Guérin nous propose soit quelques lignes de son cru, soit des passages autobiographiques ou biographiques, et surtout des textes qui leur sont propres : extraits de livres, de discours, de lettres...
Je ne vais pas résumer ce livre, c'est impossible. Simplement dire qu'il m'ouvre des pistes vers d'autres lectures : Carlo Cafiero dont il est rapidement fait mention, James Guillaume dont certaines pages m'avaient frappé. Et peut-être lire davantage Bakounine.  

Pour poursuivre les lectures, quelques sites : http://fra.anarchopedia.org/index.php/Accueil ou encore http://www.drapeaunoir.org

lundi 17 septembre 2012

LECTURE : La morale anarchiste de Pierre Kropotkine


La morale anarchiste de Pierre Kropotkine, texte publié en 1889, est libre de droit. On le trouve donc en lecture libre sur Internet : http://fr.wikisource.org/wiki/Livre:Kropotkine_-_La_Morale_anarchiste.djvu


«  Les coutumes soi-disant morales ne sont qu’un masque hypocrite ». 
Pourquoi être moral, interroge Kropotkine : tout d'abord, les actions humaines dépendent du plaisir que chacun en retire et de la peine que chacun évite. Kropotkine utilise fréquemment le monde animal pour comprendre les comportements humains : 
«  Le monde animal en général, depuis l’insecte jusqu’à l’homme, sait parfaitement ce qui est bien et ce qui est mal, sans consulter pour cela ni la bible ni la philosophie. Et s’il en est ainsi, la cause en est encore dans les besoins de leur nature : dans la préservation de la race et, partant, dans la plus grande somme possible de bonheur pour chaque individu. » 
La différence entre bien et mal vient de cette interrogation : « Est-ce utile à la société ? Alors c’est bon. — Est-ce nuisible ? Alors c’est mauvais. » L'origine du sentiment moral a été identifié par Adam Smith. Il s'agit du sentiment de sympathie. 
« Plus votre imagination est puissante, mieux vous pourrez vous imaginer ce que sent un être que l’on fait souffrir ; et plus intense, plus délicat sera votre sentiment moral. Plus vous êtes entraîné à vous substituer à cet autre individu, et plus vous ressentirez le mal qu’on lui fait, l’injure qui lui a été adressée, l’injustice dont il a été victime — et plus vous serez poussé à agir pour empêcher le mal, l’injure ou l’injustice. Et plus vous serez habitué, par les circonstances, par ceux qui vous entourent, ou par l’intensité de votre propre pensée et de votre propre imagination à agir dans le sens où votre pensée et votre imagination vous poussent — plus ce sentiment moral grandira en vous, plus il deviendra habitude. » 
Thème cher à Kropotkine, développé dans L'Entraide, la solidarité est un fondement social bien plus important que la lutte pour la survie via une « loi de la jungle » : 
« N’en déplaise aux vulgarisateurs de Darwin, ignorant chez lui tout ce qu’il n’avait pas emprunté à Malthus, le sentiment de solidarité est le trait prédominant de la vie de tous les animaux qui vivent en sociétés. […] En toute société animale, la solidarité est une loi (un fait général) de la nature, infiniment plus importante que cette lutte pour l’existence dont les bourgeois nous chantent la vertu sur tous les refrains, afin de mieux nous abrutir. » 
Ce sentiment moral n'a que faire de la loi, du juge, du prêtre. Telle est donc la morale anarchiste : 
« En nous déclarant anarchistes, nous proclamons d’avance que nous renonçons à traiter les autres comme nous ne voudrions pas être traités par eux ; que nous ne tolérerons plus l’inégalité qui permettrait à quelques-uns d’entre nous d’exercer leur force, ou leur ruse, ou leur habileté, d’une façon qui nous déplairait à nous-mêmes. Mais l’égalité en tout — synonyme d’équité — c’est l’anarchie même. » 
Le comportement moral fait partie de notre habitude de vie. 
« Le principe égalitaire résume les enseignements des moralistes. Mais il contient aussi quelque chose de plus. Et ce quelque chose est le respect de l’individu. En proclamant notre morale égalitaire et anarchiste, nous refusons de nous arroger le droit que les moralistes ont toujours prétendu exercer — celui de mutiler l’individu au nom d’un certain idéal qu’ils croyaient bon. Nous ne reconnaissons ce droit à personne ; nous n’en voulons pas pour nous. » 
Kropotkine emprunte alors quelques propos à Guyau. La fin du texte nous conduit à un idéal de vie, les phrases sont alors pleines d'emphase, lyriques, percutantes, condensées en formules brèves : 
« Pouvoir agir, c’est devoir agir. », 

« la vie ne peut se maintenir qu’à condition de se répandre. »
« Sois fort ! Déborde d’énergie passionnelle et intellectuelle — et tu déverseras sur les autres ton intelligence, ton amour, ta force d’action ! — Voilà à quoi se réduit tout l’enseignement moral, dépouillé des hypocrisies de l’ascétisme oriental. » 
Il s'agit d'une exhortation à choisir une vie morale, c'est-à-dire vivante, tournée vers le bien d'autrui qui ne peut être indépendante de son propre bien (d'où une fausse distinction entre égoïsme et altruisme, aucun ne va sans l'autre). 
« La lutte c’est la vie d’autant plus intense que la lutte sera plus vive. Et alors tu auras vécu, et pour quelques heures de cette vie tu ne donneras pas des années de végétation dans la pourriture du marais. Lutte pour permettre à tous de vivre de cette vie riche et débordante, et sois sûr que tu retrouveras dans cette lutte des joies si grande que tu n’en trouverais pas de pareilles dans aucune autre activité. C’est tout ce que peut te dire la science de la morale. À toi de choisir. » 
Ainsi se conclut ce texte.

LECTURE : De notre servitude involontaire d'Alain Accardo


Publié aux éditions Agone, dans la collection contre-feux, De notre servitude involontaire –Lettre à mes camarades de gauche est une réflexion d'Alain Accardo, qui concerne tous ceux qu'il nomme, en début comme en conclusion du texte, ses « camarades de gauche » qu'il exhorte de réfléchir avec lui :
Il faut aussi que nous éprouvions un réel désir de changer les choses et donc que nos aspirations spirituelles l'emportent sur nos intérêts matériels et mondains. Mais n'est-ce pas là, chers amis, amies et camarades de gauche, le fondement même de notre identité et le ciment de notre parenté ? (p. 94)

La réflexion porte sur l'emprise de l'économie de marché, du capitalisme comme mode d'organisation économique et social, sur notre propre vie. On peut combattre des formes objectives du capitalisme, mais il convient aussi de lutter contre ce qui a grandi en nous, ce qui est insidieux car fait partie de nous (et nous n'en sommes pas nécessairement conscients, d'où l'adjectif choisi dans le titre, « involontaire », contrairement à celui utilisé par La Boëtie) : notre vie elle-même est régentée par un esprit fort éloigné de ce refus du capitalisme.
Rares sont ceux qui s'avisent que si on se borne à s'emparer des leviers du pouvoir économique et politique, le système aura tôt fait de se reconstituer à partir de sa dimension interne, de sa réalité subjective, c'est-à-dire de la force qu'il conserve dans les têtes et dans les cœurs qu'il a durablement façonnés. (p. 18)
La réflexion est construite comme une promenade, l'auteur s'arrête sur des thèmes annexes, comme le travestissement du vocabulaire ("le nouvel « esprit du capitalisme, son apologie de la force, du fric et de la frime, transfigurée en culte de l' « efficacité », de la « créativité », de la « souplesse », etc." (p. 54) ou encore le terme de « gauche » totalement galvaudé par l'utilisation de ce terme par des socio-libéraux), l'imposture démocratique, les avancées sociales qui sont certes un bien mais qui sont concédées par le système capitaliste car celles-ci ne peuvent de toute manière pas le faire chanceler,...
Avant de revenir au thème principal, la réalité subjective du capitalisme :
Ce qui est en cause, c'est plutôt l'ensemble de notre style de vie et de notre éthos, c'est-à-dire du rapport existentiel que nous avons forgé avec le monde qui nous entoure, avec les autres et avec nous-mêmes : rapport à l'argent et à la propriété, au travail et au loisir, au temps et à l'âge, au corps propre, à la santé, au sexe, à la reproduction, à l'éducation, à la culture, à l'art, à la science, à la morale et à la religion, etc. qui est fondamentalement conditionné par notre appartenance au système et la place que nous y occupons. (pp. 79-80).
C'est un point de vue lucide qui n'épargne personne, une lecture très courte mais captivante en plus d'être parfaitement claire, qui pourrait manquer de "directive"  concrète ou plutôt de l'explication d'une ligne de conduite pour agir, mais c'est à chacun de réagir à titre personnel.

jeudi 13 septembre 2012

LECTURE : L' « évidence » du discours néolibéral de Thierry Guilbert


En théorie, la démocratie se fonde sur un pouvoir politique, un contre-pouvoir médiatique et l'opinion publique. Ce livre, L' « évidence » du discours néolibéral – Analyse dans la presse écrite de Thierry Guilbert, (éditions du croquant, collection savoir/agir) analyse linguistique les éditoriaux de journaux nationaux écrits lors de moments de crises (lors du CPE, lors de réformes des retraites...), tend à montrer que ce « contre-pouvoir » sert en réalité le même discours néolibéral, s'aligne sur les discours politiques propres à l'économie de marché, déforme et forme l'opinion publique par des stratégies langagières. 



L'éditorialiste n'use pas de propagande (c'est le propre d'un régime tyrannique!) : la manipulation du langage se fait en dissimulant ses buts, le discours semble cohérent, d'une telle évidence et il ne reste plus au lecteur qu'à acquiescer. Le discours néolibéral est considéré nécessairement comme le bon sens. En somme, tout ce qui viendrait s'y opposer ne serait que foutaise.
Pour contrer cette pseudo-évidence du discours, d'où les guillemets bien sûr dans le titre (guillemets qui n'apparaissent pas sur la couverture telle qu'elle apparaît ici et que je reproduis, mais qui sont bien réels sur le livre que j'ai devant moi), l'auteur examine les stratégies langagières.

Utilisation d'un « sacré montré », de la rationalité, de la nominalisation à défaut d'une phrase sujet-verbe-complément plus facilement réfutable car on pourrait alors y placer une négation, la façon de nommer les acteurs du conflit, l'utilisation des sondages d'opinion (et leur rédaction orientée), l'utilisation d'une opinion virtuelle, la constitution d'opinions partagées (« tout le monde » sait que, « chacun » pense que...) fabriquées de toute pièce mais qu'on ne peut contredire car elles font appel au bon sens, utilisent des clichés, des proverbes..., le cadre qui présente les événements qui sont les faits d'une réalisation humaine comme si ceux-ci venaient de la nature, comme si rien ne pouvait les modifier (métaphores météorologiques, utilisation du passif..), la comparaison à d'autres (notamment les autres pays d'Europe, jouant sur l'affect car la France serait alors la dernière, une « exception française » qui menace l'équilibre, qui est le fait de la mauvaise humeur essentialiste, propres au caractère du Français qui râle sans raison, si ce n'est parce que le fait de vouloir râler serait dans ses gênes) , la réduction du conflit à un combat de chefs avec personnes nommées, la persuasion au lieu de l'argumentation grâce à l'utilisation de figures stylistiques, d'amalgame sous couvert d'énumération ou de création d'un faux-choix, question rhétorique...

Extraits de la conclusion de l'ouvrage :
Le véritable en jeu de cette forme de présentation médiatique du discours néolibéral est donc de parvenir à imposer dans les esprits l'impossibilité de contester les « réformes », l'impossibilité de penser une alternative à la doctrine néolibérale, c'est-à-dire imposer son incontestabilité ou, plus simplement, son « évidence ». (p. 131)
Nos « dirigeants » ont fini par croire en l'évidence du discours libéral : pour eux, ce discours ne représente pas la réalité, il est la réalité.  (p. 133)

mardi 11 septembre 2012

LECTURE : Ne pas perdre sa vie à la gagner – Pour un revenu de citoyenneté de Baptiste Mylondo


Publié aux éditions Homnisphères en 2008, Ne pas perdre sa vie à la gagner a été réédité aux éditions du Croquant en 2010 avec quelques mises à jour. La quatrième de couverture est en grande partie extraite de la conclusion de l'ouvrage.



Le livre est organisé en deux parties qui correspondent l'une au titre, l'autre au sous-titre. Ainsi nous trouvons : livre I : abolir le culte du travail, livre II : garantir le revenu. Si la lecture de la première partie est fluide, on ne peut pas en dire autant de la deuxième partie qui sert notamment des calculs permettant de justifier la possibilité de verser un revenu de citoyenneté à chacun.

Après la préface de Paul Ariès, une citation de Robert Louis Stevenson (de Une apologie des oisifs) qu'il me plaît de reprendre ici : 
« Cette prétendue oisiveté, qui ne consiste pas à ne rien faire, mais à faire beaucoup de choses qui échappent au dogme de la classe dominante, a tout autant voix au chapitre que le travail. »

Car le travail est confondu avec le travail salarié, avec l'aura que prend ce travail salarié puisque certains y ont accès alors que d'autres ne le peuvent pas, pour la valeur qu'il prend comme élément de socialisation, comme signe de respectabilité. Un effort de définition s'impose. Le travail est polysémique, il se trouve agrégé à des valeurs, il est sacralisé. Il convient de détruire cette agrégation de sens, ce qui entrave notre vision de ce qu'il est réellement (labeur, activité pénible) pour mieux lutter contre son extension. Le travail pourrit notre vie.
La vision du travail évolue, il est devoir, il est preuve de civilisation par rapport à la paresse du sauvage. Alors que chacun travaillait pour gagner de quoi vivre et ne cherchait pas à en faire davantage, les entrepreneurs (nous sommes alors au XIXe siècle) contraignent les travailleurs à l'assiduité, à une contrainte horaire, à la ponctualité, à la concentration sur sa tâche... Mais pourquoi travailler plus que nécessaire ? Inciter à la consommation devient une solution : 
« c'est sur leur relative frugalité comme consommateurs qu'il faut agir pour les inciter au travail. En clair, il faut inciter les ouvriers à consommer plus que de raison, pour les inciter à travailler plus que de raison... » 
Publicité et satisfaction de besoins en les créant, satisfaction du besoin de reconnaissance sociale par le biais d'objets de consommation.
Alors que les politiques pour l'emploi s'enchaînent, que le chômage ne diminue pas pour autant, ne faudrait-il pas s'interroger sur l'impasse de cette volonté que chacun ait un emploi ? Si le chômage, en tant qu'oisiveté, est la mère de tous les vices, le plein-emploi serait le remède. Mais avec les avancées techniques (et donc le besoin moindre de main-d'oeuvre), avec les délocalisations à échelle mondiale, il ne peut y avoir que moins de travail. Le problème du chômage n'est pas l'emploi mais la désacralisation du travail, l'existence hors du travail. 
« Au final, c'est moins le travail en tant que tel qui est en cause dans les ravages du chômage, que la vision que l'on en a aujourd'hui. Ce travail sacralisé dont on ne cesse de vanter les mérites et de louer les bienfaits. Ce travail considéré comme centre de la vie de l'individu et pilier de la société. » (p. 42)
« Si l'on remet en cause ce qui n'est en fait qu'une construction historique récente, on change aussi la condition du chômeur. Délesté de cette « valeur travail » au poids social trop écrasant, le chômeur peut parfaitement s'épanouir et trouver sa place au sein de la société à travers d'autres activités, hors du travail. Dès lors, la question même du chômage n'a plus lieu d'être, la dictature du Travail s'effaçant derrière la revalorisation de ces activités alternatives. » (p. 43)
Sous-titre de la partie « contre le culte du travail » : « un travail inutile pour une consommation futile ». Trop de travail pour trop de production et trop de consommation, et trop de consommation entraînent la nécessité de gagner plus d'argent et donc de travailler davantage. Si l'on travaillait moins, on consommerait moins et si on consommait moins, on travaillerait moins.
Or, le culte du travail est en réalité un culte du travail à plein temps.
« S'il n'était ce culte du travail, continuerions-nous à turbiner de la sorte, quitte à revoir à la baisse nos habitudes de consommation ? » (p. 47)
Traduire en heures de travail le prix d'une voiture est édifiant. Et quand on pense que la voiture, qui peut coûter trois mois de salaire par an, sert principalement à se rendre à son travail... La conclusion s'impose : on marche sur sa tête. (L'exemple de la voiture se trouve p. 47)
Et finalement, si on pouvait vivre, percevoir un salaire sans avoir obligation de travailler ? 
« On objectera sans doute que la mise en place d'un revenu déconnecté du travail expose à un risque certain de désertion du marché du travail... Certes, et pour cause, dans une certaine mesure c'est précisément l'effet recherché ! » (p. 49) 
Il ne s'agit pas d'une « ode à la paresse mais plutôt d'un éloge du temps libre et de la libre occupation de chacun » (p. 52)

Arrivé à la deuxième partie, je trouve le livre moins intéressant. L'auteur y justifie le revenu de citoyenneté, explique qu'il est sensé, doit toucher chacun, individuellement, sans contrepartie, quelle que soit l'activité choisie car il n'y a pas d'inutile au monde, il permet de réduire des inégalités, abolit la contrainte du travail mais préserve l'incitation car celui qui veut plus d'argent que ce revenu de citoyenneté qui lui permettrait de vivre sans extra pourrait toujours, s'il le souhaite, travailler à temps partiel ou à temps plein, selon ses envies, et les travaux pénibles seraient encouragés par une revalorisation salariale importante. Suivent des calculs : des prestations sociales seraient maintenues, d'autres disparaîtraient dans le revenu de citoyenneté, le coût de ce revenu nécessiterait l'augmentation de la csg, etc.


lundi 3 septembre 2012

LECTURE : De la servitude moderne de Jean-François Brient


Il s'agit à la fois d'une vidéo de 52 minutes et d'un texte écrit par Jean-François Brient en 2007 diffusé librement sur Internet (lecture sur le site http://delaservitudemoderne.org ou téléchargement en pdf). Le documentaire vidéo est une lecture du livre De la servitude moderne, accompagnée d'images détournées, essentiellement extraites de films. Il a été amusant par la suite de retrouver l'un de ces films dans son contexte original : Invasion Los Angeles, un navet dont la seule scène intéressante hormis la fin comique est celle présentée dans le documentaire De la servitude moderne.
« L’objectif central de ce film est de mettre à jour la condition de l’esclave moderne dans le cadre du système totalitaire marchand et de rendre visible les formes de mystification qui occultent cette condition servile. Il a été fait dans le seul but d’attaquer frontalement l’organisation dominante du monde. »


Il y a quelques mois, je lisais un roman, il y était question d'anarchisme, dans une acception que je ne comprenais pas. Stupidement, j'en étais resté à cette définition truquée de l'anarchisme comme chaos, j'ai donc entrepris de me documenter : la lecture de L'ordre moins le pouvoir deNormand Baillargeon en témoigne. Je poursuis actuellement avec l'épaisse anthologie de Daniel Guérin, Ni Dieu ni maître. Mais auparavant, j'avais tout simplement lu ce qu'en disait Wikipédia. Un article long, rempli de références diverses à ne plus savoir où aller et que lire... Sauf, en fin d'article, un lien vers ce texte, De la servitude moderne, que j'ai donc lu en tout premier lieu. 
Si je n'ai pas évoqué cette lecture précédemment, c'est parce qu'il a fallu la digérer, lire autre chose qui me permette de rétablir un équilibre. Comment peut-on vivre lorsque l'on écrit un tel texte ? me suis-je alors demandé. De la servitude moderne m'a rendu malade. Mais c'est un texte que je garderai à l'esprit et vers lequel je compte retourner, parce que sa concision et sa précision ressemblent à la sonnerie d'un réveil : De la servitude moderne me sort de la torpeur.
« Quant à ceux qui trouveront à redire sur cette œuvre en tant qu’elle ne serait pas assez révolutionnaire ou bien trop radicale ou encore pessimiste n’ont qu’à proposer leur propre vision du monde dans lequel nous vivons. » 
Pessimiste, cette œuvre l'est à un point tel qu'il m'a semblé après sa première lecture qu'il ne nous reste plus qu'à nous jeter par la fenêtre. « Le pouvoir n'est pas à conquérir, il est à détruire », selon la formule utilisée en fin de livre, mais ma lecture était tellement démoralisante que c'était plutôt vers une destruction personnelle qu'elle menait.

Les chapitres égrènent tous les aspects de la vie où nous sommes esclaves. C'est une longue énumération, puisque tout nous asservit. Des phrases courtes comme des sentences. Certains thèmes ont eu une résonance particulière pour moi : l'habitat (au vu de la dégradation des lieux, de l'urbanisation à outrance près de chez moi qui me répugne) l'alimentation, le travail, la consommation et surconsommation. Et la « démocratie », le vote comme illusion de choix : 
« [Le pouvoir] est tyrannique par nature, qu’il soit exercé par un roi, un dictateur ou un président élu. La seule différence dans le cas de la « démocratie » parlementaire, c’est que les esclaves ont l’illusion de choisir eux-mêmes le maitre qu’ils devront servir. Le vote a fait d’eux les complices de la tyrannie qui les opprime. Ils ne sont pas esclaves parce qu’il existe des maîtres mais il existe des maîtres parce qu’ils ont choisi de demeurer esclaves. » 
J'ai lu ce texte juste avant les élections présidentielles. J'avais en tête l'idée du vote comme droit, mieux (ou pire) même, comme devoir !, De la servitude moderne m'a perturbé au moment de placer un bulletin dans l'urne, c'est le moins que je puisse dire.

En somme, c'est un livre très pessimiste, car l'accumulation n'est contrebalancée que par un maigre chapitre (le XIXe, intitulé « perspectives »), seule petite lumière au fond du tunnel dont je cite l'élément essentiel : 
« L’autogestion dans les entreprises et la démocratie directe à l’échelle des communes constituent les bases de cette nouvelle organisation qui doit être antihiérarchique dans la forme comme dans le contenu. » 
Une phrase pour répondre à tout ce qui précède, c'est peu. Mais c'est aussi un livre-déclencheur. Après l'avoir lu, on ne peut je pense pas rester le même. Et d'autres lectures sont là pour élargir le tunnel.


LECTURE : L'Aventure de Nathalie de Thomas Galley


L'Aventure de Nathalie de Thomas Galley, aux éditions Kirographaires, est l'histoire si classique d'une rencontre entre un homme et une femme, de deux êtres amoureux dont la relation s'est préalablement tissée via Internet, et autres moyens de communication. La rencontre a lieu à Paris, par commodité car l'un, Stefan, vit en Allemagne et l'autre, Nathalie, à Montpellier, mais aussi pour la magie des lieux : Orsay, le Louvre, le Quartier Latin, Notre-Dame... L'avertissement de l'auteur mentionne l'ancrage très classique de ce « boy meets girl » tout en soulignant qu'il ne s'agit pas d'une rencontre platonique : « si vous êtes facilement embarassé(e)s par les désirs de la chair, un conseil avant de pousser plus loin : abstenez-vous ! » Roman d'amour, roman sentimental, L'Aventure de Nathalie comprend en effet plusieurs scènes érotiques.



Cette histoire d'amour est enveloppée, il s'agit d'un récit dans le récit. Un principe d'écriture classique : c'est Nathalie, trente ans plus tard, qui au détour d'une rencontre avec Michael à Notre-Dame, narre son passé. Les six dernières pages du roman qui en comporte un peu plus de trois cents sont un retour au café où Nathalie avait entrepris de raconter cette parenthèse amoureuse, à la demande de Michael : « Madame, si cela ne vous dérange pas, fit-il, j'aimerais entendre votre histoire. » (p. 29). Curieusement, le récit n'est pas écrit à la première personne comme on aurait pu s'y attendre, mais à la troisième personne.

De la rencontre à la tragique séparation. Tout le roman se concentre en quelques jours seulement où deux êtres se découvrent physiquement, s'émerveillent l'un de l'autre, interagissent avec leur environnement (et cet environnement fait une large place à l'art, qu'il s'agisse de musique, de peinture, d'architecture...), où de nouvelles facettes de l'autre sont révélées : leur fragilité, leurs expériences passées qui entrent en collision avec les événements présents (se déroule notamment dans l'esprit de Stefan le film d'un ancien amour, et cette vision est vécue avec une acuité telle qu'elle bouleverse le personnage). C'est un amour fou qui se vit dans l'instant. Des interrogations planent en effet sur l'avenir commun, car d'autres personnes, d'autres vies existent (une femme en Allemagne, une fille à Montpellier), la nécessité de l'indépendance et des peurs interfèrent aussi...

Je n'ai pas aimé L'Aventure de Nathalie, car je n'ai pas réussi à adhérer à sa minutieuse lenteur, due aux descriptions très travaillées qui détaillent la moindre action, la moindre perception sensorielle. Un tempo extrêmement lent qui ne me convient pas.